Louveteau - Zoo de Berlin, 2005
lundi 10 octobre 2011

" Rouler " de Christian Oster - Editions de l'Olivier, 2011

" J'ai pris le volant un jour d'été, à treize heures trente. " ... c'est ainsi que commence le nouveau roman de Christian Oster.

On ne sait pas grand chose de cet homme qui quitte Paris avec sa voiture si ce n'est qu'il s'est fixé de rejoindre Marseille. Malgré son apparent besoin de solitude, il va plus ou moins à contre coeur, accepter de partager des morceaux de temps avec des personnes rencontrées au fur et à mesure de son périple.


Paradoxalement, alors qu'il semble fuir sa vie pour aller vers une sorte de néant, où il pourra s'isoler des autres, les hasards du voyage l'obligent à s'ouvrir un peu aux autres et de ce fait à mener une sorte d'introspection sur lui-même.

A travers son observation détaillée de la nature, des sensations vécues et ses analyses fines et sensibles des personnes dont il croise la route, le personnage paraît finalement entrer dans des instants de plénitude où la pleine conscience de soi l'emporte sur l'égarement. Ces instants sont comme des petits puits où peu à peu il va peut-être se ressourcer pour donner un nouveau départ à son existence. La fin du roman (voir le dernier extrait ci-dessous) est d'ailleurs comme une parenthèse qui s'ouvre sur un champ du possible auquel le narrateur semble croire à nouveau.

C'est un roman très agréable à lire car l'écriture y est remarquable et fluide et il y a un humour délicat qui nous fait souvent sourire.

Quelques extraits :

" La pluie a grossi, elle tombait en gouttes laiteuses, qui s'écrasaient en laissant de l'écume. Je l'entendais, aussi, frapper la banne à l'abri de laquelle je me tenais encore, son crépitement gras dominait les roulements, et je me suis dit que la vie devenait violente, j'ai rentré légèrement la tête dans les épaules. "

" Une femme était assise à l'autre bout du banc, âgée, avec un sac sur ses genoux et des cheveux permanentés, (...) Nous regardions les gens, les vitrines, mais surtout les gens, et j'ai pensé que je les regardais avec elle, que j'en étais au même stade qu'elle, qu'il n'y avait pas tellement de différences entre nous, finalement, excepté qu'elle était vieille, tandis que moi je n'étais pas encore vieux, mais que je m'y préparais, que ce n'était pas si loin que ça, que le petit mètre qui nous séparait sur ce banc n'était guère plus long que les années qui nous tenaient à distance l'un de l'autre, que j'aurais aussi bien pu la rejoindre dans le temps, que ça ne modifierait pas excessivement les choses. Puis j'ai pensé que non, que j'étais vivant, que la vie en moi travaillait, en somme, travaillait encore et souterrainement, et que je la guettais, au sortir de son trou, mais qu'elle ne ressemblerait pas à ce que j'avais connu, que peut-être même c'était maintenant qu'elle surgissait, et qu'en effet je ne la reconnaissais pas. "

" J'ai entendu des oiseaux. Je ne les ai pas écoutés, j'ai essayé de penser à la vie, pas spécialement à la mienne, au destin des gens, plutôt, puis je suis revenu à la mienne, je n'arrivais plus à me représenter les autres. Je me voyais moi, mais pas nettement, je me sentais comme ce bout de route qui disparaissait dans la pénombre et je me suis demandé si ce n'était pas ce que j'étais en train de faire. Puis je me suis dit que j'exagerais. Je pouvais parfaitement rentrer à Paris et rien de tout ça n'aurait existé. Tout ça quoi, me suis-je dit. "

" J'ai couvert une dizaine de longueurs, que j'ai comptées, et, dès la septième, j'avais retrouvé cette sensation d'ennui caractéristique de la nage dans un espace fermé, identique, j'imagine, à celle que font naître toutes les activités qui miment le déplacement, comme le vélo d'appartement, et où la conscience aigüe d'être privé de destination se combine avec celle, plus souterraine, que le temps n'y changera rien et que par conséquent, même quand il sera écoulé, selon la limite qu'on se sera fixée, on ne sera toujours arrivé nulle part. "

" Tout en l'écoutant me répondre, je l'ai observé, poser des questions est le meilleur moyen pour ça, me disais-je, parce que pendant ce temps-là les gens ne se doutent de rien, ils pensent qu'on les écoute et pas du tout, on les regarde, le visage, surtout, la bouche en mouvement, les expressions, l'allure, et Verger avait un visage lisse avec quelque chose de diaphane, comme s'il avait eu la peau mince, d'ailleurs il m'a semblé le voir rougir. Au reste, il avait le regard terne, et je me suis demandé s'il buvait. Il parlait lentement, comme s'il cherchait les mots, mais il ne les cherchait pas, il les laissait venir, plutôt, et il rougissait comme sous l'effet de la surprise, la surprise de ces mots qu'il attendait et qui soudain lui venaient aux lèvres, il était peut-être honteux de leur banalité et en même temps surpris, oui, je crois que Verger était quelqu'un qui se connaissait mal. "

" (...) une femme s'avançait dans ma direction, (...) son visage, maintenant qu'elle était à une vingtaine de mètres, ne m'évoquait absolument rien de connu mais m'évoquait tout le reste, quelque chose dont j'ai pensé que j'allais avoir besoin et dont j'ai compris, debout devant ces marches, que, si je ne faisais rien, j'allais éprouver le manque. J'ai continué à la regarder s'approcher et, quand elle est arrivée à ma hauteur, je lui ai demandé si elle savait où, dans cet hôpital, se trouvait la morgue. Dans un premier temps, je voulais juste entendre sa voix. "


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire